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Fermeture d’USAID : quelles conséquences pour le monde et pour les États-Unis ?

Des médecins thaïlandais doivent maintenant refuser de traiter des réfugiés de guerre atteints de maladies potentiellement mortelles. Plus de 816 000 personnes auront faim à cause de la fermeture de soupes populaires à Khartoum. Des dizaines de nouveau-nés de plus naîtront avec le VIH (virus de l’immunodéficience humaine) en Afrique du Sud et en Haïti. Nous entrons dans un monde sans l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID).

À partir de samedi, la quasi-totalité des 10 000 employés du plus grand donateur bilatéral du monde seront mis en congé administratif. Elon Musk, mandaté pour diriger le nouveau département d’Efficacité gouvernementale (Department of Governement Efficiency ou, plus simplement, DOGE), a annoncé que le gouvernement Trump réduisait radicalement le financement de l’USAID. Musk a qualifié l’organisation de « criminelle », ajoutant qu’elle était dirigée par « une bande de fous radicaux » et « remplie de collaborateurs marxistes ». Bien que le DOGE n’ait pas été approuvé par le Congrès étasunien et que les fonctions de Musk n’aient pas été encore confirmées par le Sénat, il semble que d’un simple gazouillis il puisse changer le monde.

Des organismes contestent juridiquement certains des décrets et des premières décisions du gouvernement Trump, notamment celle de fermer l’USAID, mais les cours fédérales étasuniennes, en pénurie de juges, auront besoin de plusieurs années pour en venir à bout. Même si les employés de l’agence sont syndiqués et que celle-ci a des engagements légaux avec certains contractants, le duo Trump-Musk n’a que faire des détails légaux, des contrats et des conventions collectives.

Le secrétaire d’État étasunien, Marco Rubio, a voulu calmer le jeu en affirmant que l’agence (actuellement une société d’État) sera seulement intégrée au département d’État. Le gouvernement conservateur de Stephen Harper avait fait la même chose en 2013 en fusionnant l’Agence canadienne de développement international avec le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (aujourd’hui Affaires mondiales Canada). S’en étaient suivies des années de dédales administratifs et de perte de performance.

Les agences spécialisées semi-autonomes comme USAID ou l’ACDI détiennent une autonomie et une capacité d’action qu’un département ministériel n’a pas. Ce type de fusion vise évidemment à aligner plus étroitement l’aide américaine à la politique étrangère et aux intérêts de sécurité des États-Unis, le mandat du département d’État.

Les coupes à USAID s’ajoutent à la décision de Washington de se retirer de l’Organisation mondiale de la santé, du Conseil des droits de l’homme de l’ONU et de l’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA). Les États-Unis tournent le dos à un ordre multilatéral qu’ils ont eux-mêmes dessiné au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale et dont ils sont les principaux bailleurs de fonds.

Les instances internationales, tout comme USAID, ne sont pas exemptes de reproches. Les agences onusiennes sont critiquées pour leur manque d’efficacité et leur lourde bureaucratie, et la coopération internationale étasunienne a trop souvent priorisé les intérêts de Washington sur le bien commun. Cela dit, en se retirant de plus en plus de l’ordre multilatéral, les États-Unis voient leur soft power et leur pouvoir diplomatique diminuer. Ce vide laissé par un hégémon en déclin sera comblé par des pays comme la Chine ou la Russie. Alors que Washington misait sur la coopération pour s’assurer des alliés sur le continent africain, par exemple, Moscou déploie des mercenaires et Pékin exploite des minerais rares tout en accordant des prêts à faible taux d’intérêt.

La capacité d’influence de Washington diminuera, tout comme son pouvoir sur différentes décisions multilatérales. Certains impacts sur la sécurité du pays seront même plus directs. Par exemple, un programme parrainé par les États-Unis qui recueille des renseignements sensibles sur des actions liées à al-Qaïda a été interrompu par les coupes à USAID et un sous-traitant américain qui assurait la sécurité d’un camp abritant des membres du groupe armé État islamique a été contraint d’interrompre ses activités.

Un monde sans l’aide internationale des États-Unis est un monde moins sécuritaire et en moins bonne santé. En plus des coupes évidentes faites dans les projets d’accès à l’avortement un peu partout dans le monde, les responsables craignent que les coupes à l’USAID sapent le progrès réalisé au Cambodge, qui était sur le point d’éradiquer le paludisme grâce au financement étasunien. Au Népal, l’USAID vient de suspendre un programme de 72 millions de dollars visant à lutter contre la malnutrition.

Les conséquences de ces coupes pourraient bien venir nous mordre la queue. Un programme de lutte contre les épidémies, comme celle du VIH sida en Afrique du Sud ou en Haïti, permet d’éviter des milliers de morts dans ces pays… mais empêche également que ces maladies se propagent jusqu’ici. Un programme d’éducation et de réhabilitation de combattants après un conflit permet de stabiliser une région et d’empêcher des mouvements de réfugiés vers d’autres pays.

Un ordre mondial sans les États-Unis sera plus instable et plus dangereux pour un certain temps. Mais l’avenir seul nous dira si c’est une mauvaise chose. Reste à savoir quels pays combleront le vide et de quelle manière.

Avec ledevoir.com

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