L’état de siège, une mesure exceptionnelle, est entrée en vigueur depuis le 06 mai 2021 en République Démocratique du Congo dans les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu, et prorogée tous les 15 jours. Son efficacité suscite bien des débats, sans qu’elle soit pour autant remise en cause.
Quand peut-on mettre fin à cette mesure exceptionnelle ?
En septembre 2021 soit quatre (4) mois plus tard, le Chef de l’État, Félix Tshisekedi Tshilombo déclare :
« L’état de siège ne sera levé que lorsque les circonstances qui l’ont motivé disparaîtront ».
Il a été suivi par le porte-parole du gouvernement, Patrick Muyaya, qui effectue des points d’étape réguliers sur la situation à l’est du pays, qui plaidait lui aussi pour plus de patience et affirmait qu’on « ne peut pas demander de régler en six mois un problème qui dure depuis plus de vingt ans ».
Mais, quelle a été la circonstance de la proclamation de l’état de siège ?
En vertu de la Constitution de la RDC en son article 85, « lorsque les circumstances graves menacent d’une manière immédiate, l’indépendance ou l’intégrité du territoire national ou qu’elles provoquent l’interruption du fonctionnement régulier des institutions, le Président de la République proclame l’état d’urgence ou l’état de siège, après concertation avec le Premier ministre et les Présidents des deux Chambres, conformément aux articles 144 et 145 de la présente Constitution.
Il en informe la nation par un message.
Cette mesure exceptionnelle est intervenue dans le contexte où les rebelles M23 d’obédience étrangère contrôlaient Bunagana et d’autres zones de la province du Nord-Kivu ainsi que les groupes armés locaux multipliaient des exactions contre les civils dans la province de l’Ituri.
De ce fait, la proclamation de l’état de siège devrait permettre le rétablissement de la paix dans ces deux provinces de l’Est du pays en proie à l’insécurité due à la présence des groupes terroristes locaux et étrangers.
Les dispositions clés :
- L’armée remplace la police pour la sécurité publique ;
- Certaines libertés de l’État de droit (circulation, manifestation, expression) sont fortement restreintes ;
- Les médias sont contrôlés ;
- Un couvre-feu entre en vigueur sur le territoire concerné par l’état de siège ;
- La mobilisation nationale peut être décidée ;
- Les tribunaux civils sont remplacés par des tribunaux militaires ;
- La surveillance accrue de la population.
En somme, tous les responsables de l’administration publique dans ces deux provinces du pays, qu’il s’agisse de Gouverneurs, maires et autres commis de l’Etat, sont placés sous l’autorité des militaires.
La mesure est du moins justifiée lors de sa proclamation mais, les résultats restent mitigés plus tard.
Convocation d’une table ronde sur l’état de siège
Du 14 au 16 Août 2023, le Président de la République convoque une table ronde sur l’état de siège à laquelle prendront part tous les représentants de la population congolaise à travers les structures citoyennes. Au finish, la majorité des participants ont réclamé la levée de cette mesure exceptionnelle qui, après plus de deux (2) ans a montré ses limites.
« L’analyse finale, ce que la grande partie des participants se sont manifestés pour la levée de l’état de siège. Les participants ont vidé les salles abritant les thématiques du maintien et de la requalification de l’état de siège pour gonfler la thématique de la levée de l’état de siège. Nous avions commencé avec 80 participants. Nous avons terminé avec 196 participants. Et 195 participants ont voté pour la levée de l’état de siège », avait expliqué le président de la commission Levée de l’état de siège, le député national Fabrice Adenonga, élu de Djugu en Ituri.
La balle est alors restée du côté du Garant de la Nation pour décider mais, rien n’a été pris comme mesure.
De l’allègement de l’état de siège
Deux ans et quatre mois après son instauration, « j’ai opté (…) pour la mise en œuvre d’un dispositif transitoire graduel au terme duquel cette situation exceptionnelle (état de siège) devra connaître sa fin », a déclaré le Président Félix Tshisekedi Tshilombo dans un “ message à la nation ” diffusé par la télévision nationale à 23 heures, heure de Kinshasa (minuit à l’Est du pays).
À retenir que cet allègement “ progressif et graduel ” de l’état de siège intervenait juste à un peu plus de deux mois avant l’élection présidentielle prévue le 20 décembre dans laquelle Félix Tshisekedi était candidat à sa propre succession. Est-ce que c’était une “ démagogie ”, l’une des stratégies de la campagne électorale pour s’attirer les électeurs de l’Est du pays ?
Après les élections, le Chef de l’État est resté “ silencieux ” ne se prononçant plus sur des questions liées à l’état de siège en dépit de multiples appels à la levée de cette mesure exceptionnelle.
Des appels à la levée de l’état de siège
Depuis la fin de la table ronde sur l’état de siège en Août 2023, des voix s’élèvent du jour le jour pour réclamer la levée de cette mesure exceptionnelle qui a trop duré et qui n’a pas fourni des résultats escomptés, au contraire, la situation s’est empirée davantage pendant le règne des militaires.
Les acteurs sociaux et politiques, les organisations de la défense des droits humains ainsi que d’autres structures de la société civile des deux provinces (Ituri et Nord-Kivu) haussent régulièrement le ton mais, en vain.
Des députés nationaux des deux provinces ont parfois décidé de claquer la porte de l’hémycicle pour protester contre la prorogation de l’état de siège, sans succès.
Qui peut alors mettre fin à l’état de siège ?
D’après certains députés nationaux dans les coulisses, « l’état de siège ne prendra fin que lorsque le Chef de l’État le souhaitera ». Est-il vrai cette affirmation ?
Jettons un coup d’oeil dans la Constitution de la RDC :
D’après la Constitution de la RDC, l’état de siège peut être mis à terme de deux manières :
- Si aucune demande de prorogation de l’état de siège n’est faite par le Président de la République sur décision du Conseil des Ministres ;
- Si l’Assemblée et le Sénat le souhaitent.
L’article 144, alinéa 5 et 6 stipule que, « l’ordonnance proclamant l’état d’urgence ou l’état de siège cesse de plein droit de produire ses effets après l’expiration du délai prévu à l’alinéa trois du présent article, à moins que l’Assemblée nationale et le Sénat, saisis par le Président de la République sur décision du Conseil des ministres, n’en aient autorisé la prorogation pour des périodes successives de quinze jours.
L’Assemblée nationale et le Sénat peuvent, par une loi, mettre fin à tout moment à l’état d’urgence ou à l’état de siège.
Pourquoi le Parlement ne met pas alors fin à l’état de siège ?
Il y a deux hypothèses :
- Seules deux (2) provinces sur les 26 que compte la RDC sont concernées par cette mesure exceptionnelle. Les 24 autres provinces ne trouvent aucun intérêt de lever l’état de siège du fait qu’ils ne connaissent pas la realité du terrain. Ils le font soit sciemment soit sous pression de l’Union Sacrée, la plateforme politique qui soutient les actions du Chef de l’État au pouvoir.
- Le Président de la République Félix Tshisekedi Tshilombo souhaiterait à tout prix maintenir l’état de siège vu qu’il n’aurait aucune confiance aux Gouverneurs civils face à la menace de la balkanisation que font face les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu et qu’il craindrait de subir des critiques sur l’échec de cette mesure exceptionnelle.
À l’heure actuelle, la situation est stagnante, on observe d’un côté les populations des deux provinces qui souhaitent la levée de l’état de siège et de l’autre, le Président de la République qui veut maintenir cette mesure exceptionnelle jusqu’au rétablissement effecrif de la paix. Le statuquo est loin de se terminer…
Rédaction